vendredi 8 juillet 2016

TTIP ET CETA : DEUX ACCORDS DONT PLUS DE SIX FRANÇAIS SUR DIX NE VEULENT PAS

Le TTIP et le Ceta étaient inscrits au menu du sommet européen des 28 et 29 juin à Bruxelles. Deux accords de libre-échange qui suscitent de plus en plus la défiance des citoyens européens.
Mixte ou non mixte ? C’est la question qui a agité Bruxelles concernant, le traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada (Ceta). Signé en septembre 2014 par l’ensemble des états de l’UE, l’accord doit encore être ratifié par ces 28 États-membres avant d’entrer en application.
Jusqu’au 5 juillet, la Commission européenne estimait que le texte relevait du non-mixte. Par conséquent il ne devait pas passer devant les 28 parlements nationaux mais seulement devant le Parlement européen. Mais les pressions de La France et de l’Allemagne ont contraint la Commission de faire machine arrière.

TTIP, Ceta : même combat

L’enjeu de la procédure de ratification est important, le Ceta étant la version canadienne du traité de libre-échange transatlantique (TTIP) négocié entre l’Europe et les États-Unis. Il en est également une préfiguration, tant par son contenu que par la méthode utilisée par la Commission européenne. Si la commission s’était passée de l’assentiment des parlements pour le Ceta, elle aurait bien pu réitérer l’opération pour le TTIP.
Les deux accords ont notamment pour objectif la suppression des droits de douane et des barrières non tarifaires. Ces dernières sont constituées de l’ensemble des mesures permettant à un pays de protéger son marché (normes techniques ou sanitaires ou règlementation favorisant les entreprises locales et nationales) afin d’éviter la concurrence extérieure déloyale ou misant sur le « moins disant ».

L’Argentine condamnée

Autre similitude entre le Ceta et le TTIP, le mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs (ISDS en anglais). Une entreprise pourra poursuivre un pays devant une cour arbitrale si elle estime qu’une décision ou une nouvelle réglementation met en cause ses intérêts. 
Force Ouvrière dénonce ce mécanisme qui permet à un tribunal privé de remettre en cause les choix politiques d’un Etat s’ils entrent en conflit avec les intérêts d’une multinationale.
En 2015, un tribunal arbitral international a condamné l’Argentine à verser près de 400 millions d’euros à Suez environnement. En cause, la renationalisation en 2006 du service de l’eau de Buenos Aires.

Discordances des voix

De plus en plus nombreuses, des voix discordantes se font entendre dans différents pays de l’Union. Notamment en France où un sondage, publié la veille de l’ouverture du sommet, indique que les Français sont largement préoccupés par les deux traités : Huit Français sur dix estiment que le Ceta et le TTIP remettent en question les lois ou « normes » françaises protégeant la santé, la qualité de l’alimentation, l’environnement, et le climat. Plus de six Français sur dix souhaitent que la France mette fin à ces deux projets de traité.
C’est dans ce contexte de défiance, agité par les résultats du référendum britannique, que s’est ouvert le sommet européen de fin juin. Jean-Claude Juncker, président de la Commission a demandé aux États membres qu’ils confirment le mandat de négociation de la Commission pour le TTIP.
Soufflant le chaud et le froid, la position française est assez absconse. François Hollande et Manuel Valls affirment depuis plusieurs semaines que la France ne signera pas le traité en l’état. En visite à Belleville-sur-Mer le 26 juin, Le Premier ministre a enfoncé le clou : « Dorénavant, aucun accord de libre-échange ne doit être conclu s’il ne respecte pas les intérêts de l’Union. »
Pourtant, à l’instar des 27 autres États membres de l’Union européenne, la France a reconduit sans hésiter le mandat de négociation du TTIP de la Commission. Cette dernière pourra donc mener dans la plus grande discrétion le 14e round, qui doit se tenir en juillet 2016.
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Le TTIP menace d’affaiblir la protection des travailleurs européens et américains
Alors que des voix se font de plus en plus discordantes, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, demandera les 28 et 29 juin, aux dirigeants de l’UE de reconfirmer le mandat de la Commission pour conduire les négociations du TTIP. FO Hebdo a interrogé Cathy Feingold, responsable des affaires internationales à l’AFL-CIO, le principal regroupement de syndicats aux États-Unis. Son organisation ne cesse de dénoncer les conséquences délétères du TTIP sur les droits sociaux et environnementaux.
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Cathy Feingold
(AFL-CIO)
FO Hebdo : En Europe, de nombreux salariés redoutent que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) soit un moyen pour les multinationales américaines de faire des affaires sans se préoccuper des droits des salariés. Les travailleurs américains partagent-ils le même sentiment quant à l’ouverture de leur marché aux multinationales européennes ?
Cathy Feingold : Les travailleurs américains sont préoccupés par la montée en puissance des multinationales où qu’elles soient implantées. Dans de nombreuses régions des États-Unis, nous avons vu une attaque soutenue contre les droits relatifs à la liberté d’association et de négociation.
De nombreux États votent des lois qui limitent la capacité des syndicats d’organiser les travailleurs et de conserver leurs membres. Les hommes politiques conservateurs annoncent ouvertement, y compris aux entreprises européennes, que la faiblesse des protections sociales est une bonne raison d’investir dans leurs États. Les entreprises européennes sont contraintes par législation plus protectrice des travailleurs, mais quand elles arrivent aux États-Unis, elles adoptent souvent la même mentalité antisyndicale et intransigeante que les entreprises américaines.
Par exemple, alors que Volkswagen négocie avec les syndicats en Allemagne, l’entreprise a refusé de coopérer avec des travailleurs organisés dans son usine de Chattanooga dans le Tennessee. Volkswagen se bat actuellement contre une décision judiciaire qui l’obligerait à reconnaître un syndicat. Le TTIP menace d’affaiblir la protection des travailleurs de toute l’Europe et des États-Unis, ce qui rendrait plus aisé pour les entreprises des deux côtés de l’Atlantique d’ignorer les droits des travailleurs.

Quelles conclusions tirez-vous de la mise en place de l’accord de libre échange nord américain (Alena) entré en vigueur en 1994 entre Le Canada, les États-Unis et le Mexique ?
Il y a de nombreuses leçons à retenir de l’expérience de l’Alena. Tout comme le TTIP, les négociations ont été menées dans le secret, et ce, au profit des entreprises. Cette culture du secret entrave la prise de décision démocratique, alors que le dialogue social et le développement durable devraient être renforcés.
Comme l’Alena, le TTIP aura une incidence sur une multitude de questions d’intérêt public qui se situent bien au-delà des seules questions commerciales : le droit du travail, l’environnement, l’accès aux médicaments, la protection des consommateurs, les nouvelles technologies de l’information, les services financiers, l’agriculture et la sécurité alimentaire. Les communautés touchées par ces décisions auraient dû être associées dans le processus de négociation, mais cela n’a pas été le cas.
En outre, les politiciens et les clubs de réflexion pro commerce promettent à l’envi que ces négociations déboucheront sur la croissance économique et un très grand nombre d’emplois créés. Nous avons appris qu’il s’agit de vaines promesses. Lorsqu’on nous dit que le TTIP va créer de bons emplois et une prospérité partagée, cela nous rappelle le débat sur l’Alena.
Les conséquences pérennes de cet accord ont été la stagnation des salaires, l’augmentation des inégalités et l’affaiblissement de la protection sociale dans les trois pays signataires. L’Alena a été vendu comme un moyen de promouvoir une croissance équitable, mais l’accord de libre-échange nord-américain a plus profité aux entreprises au détriment des communautés. La productivité a augmenté, mais la part allant aux travailleurs a diminué. Les salaires ont stagné, l’adhésion syndicale a diminué, le travail précaire et flexible a augmenté.
Le volume global des échanges commerciaux entre les trois pays de l’Alena a augmenté, mais les gains ont été concentrés au sommet des entreprises, ce qui a entraîné la montée en flèche des inégalités. L’Alena a été le premier accord qui prévoyait des clauses de protections sociales et environnementales, mais elles n’ont jamais véritablement été appliquées. Les entreprises ont pu librement diminuer les salaires et les conditions de travail. Concernant le TTIP, nous ne devons pas répéter les erreurs du passé.

La Commission européenne souhaite libéraliser les services publics. L’AFL-CIO est-elle inquiète ?
L’AFL-CIO soutient fermement la fourniture par le secteur public des services essentiels. Nous sommes préoccupés par l’effet que le TTIP aura sur la capacité du gouvernement à offrir des services abordables et pour le plus grand nombre.
La vague de privatisation aux États-Unis a souvent donné lieu à une baisse de la qualité des prestations, à la détérioration des conditions de travail et des salaires des travailleurs des services, et à l’exclusion des pauvres et des personnes trop isolées géographiquement pour que la fourniture du service soit rentable.
Le TTIP non seulement incite à la privatisation, mais il sera plus difficile et potentiellement plus coûteux pour un gouvernement de faire marche arrière si les résultats de la privatisation ont un impact négatif sur les prestations.
L’éducation est un secteur important dans les négociations du TTIP. Les entreprises privées officiant dans ce domaine et qui ont des bilans effroyables lorsqu’elles doivent fournir une éducation accessible et complète, sont désireuses d’accéder au marché européen.
Les États-Unis et l’UE devraient adopter des politiques qui aboutissent à des services de qualité et aux meilleures pratiques d’échange. Ils ne doivent pas s’engager dans une course vers le moins-disant.

Le TTIP peut-il mettre en péril des réglementations américaines telles que le Buy American Act ?
Le TTIP met en péril tout effort du gouvernement à inscrire des clauses sociales dans la passation de marchés publics. Cela concerne le Buy American Act [1] ainsi que d’autres programmes qui visent le développement économique régional.
Cet accord de libre-échange rend difficile, voire impossible, pour le gouvernement d’indiquer dans ses contrats, une préférence, et encore moins une exigence, pour des entreprises locales, pour de l’emploi local ou pour des normes de conduite.
Par exemple, lorsque les États-Unis ont adopté des mesures visant à empêcher le gouvernement fédéral de passer des marchés avec des entreprises employant des enfants, le Canada et le Mexique ont obtenu des exemptions spéciales, parce que l’interdiction portait atteinte aux spécifications de l’Alena.
Le mouvement croissant qui demande que le gouvernement américain se préoccupe des droits humains et des normes de travail dans toute sa chaîne d’approvisionnement, pourrait être compromis de façon similaire par les règles commerciales restrictives.
Le TTIP a le potentiel d’entraver les efforts gouvernementaux de lutte contre le chômage, de promotion de la responsabilité environnementale, de lutte contre l’injustice sociale et de réponse aux besoins locaux spécifiques par le biais de marchés publics.

Pourquoi l’AFL-CIO désapprouve le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) ?
Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États est antidémocratique et dilue la capacité des gouvernements à mettre en œuvre une législation d’intérêt public. Il permet aux entreprises de contourner le processus réglementaire et législatif normal et place sur un même plan bien-être public et profits privés.
Ce mécanisme est également inutile, en particulier pour un accord entre les États-Unis et l’Europe, qui ont tous deux un système judiciaire efficace et des protections importantes de la propriété privée.
Les tribunaux d’arbitrage ne peuvent être saisis que par les investisseurs étrangers, et non par des entreprises nationales ou des communautés lésées par les activités commerciales.
Ces tribunaux n’ont aucun compte à rendre aux électeurs et sont soumis à une surveillance minimale. Les arbitres ont un intérêt financier direct, les postes étant généralement occupés par des avocats spécialisés dans le commerce international qui peuvent être arbitres et représentant des multinationales. Ce qui représente un énorme conflit d’intérêts.
Compte tenu des défauts structurels et potentiels favorisant une prise de décision partiale, il n’est pas surprenant que les entreprises persistent à s’attaquer à tous les cas de régulations concernant des intérêts publics. Des cas troublants sont à noter sur les deux rives de l’Atlantique. Offensives sur le droit du travail, sur la protection de l’environnement, sur certaines mesures de santé publique, etc.
Certaines multinationales européennes se sont attaquées aux politiques publiques de sortie du nucléaire et d’augmentation du salaire minimum. Des entreprises américaines ont mis en cause les mesures concernant le paquet de cigarettes neutre et les interdictions de la fracturation hydraulique. Une décision obligeant une entreprise à décontaminer un sol après ses activités minières a même fait l’objet d’une attaque.
Nous ne devrions pas accorder aux investisseurs étrangers des privilèges spéciaux ayant un impact sur les choix que les sociétés démocratiques peuvent faire quant à meilleure façon de protéger l’intérêt public.

NOTES

[1Le Buy American Act est une loi fédérale entrée en vigueur en 1933. Elle oblige le gouvernement américain d’effectuer ses achats directs auprès d’entreprises implantées sur le territoire américain afin de privilégier l’industrie nationale.

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